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Verbalisation de l'activité ou de l'action vécue

« L'entretien d'explicitation constitue un ensemble de techniques qui ont pour but de favoriser, d'aider, de solliciter la mise en mots descriptive de la manière dont une tâche a été réalisée. L'entretien d'explicitation vise donc en priorité la verbalisation de l'action, telle qu'elle est effectivement mise en oeuvre dans l'exécution d'une tâche précise. Bien entendu le terme d'action ne recouvre pas seulement des actions matérielles, mais comprend aussi les actions mentales.

Il y a nécessité d'un travail d'explicitation simplement parce que, quand nous agissons, une part cruciale des savoirs pratiques utilisés le sont de manière tacite, implicite. Ce caractère implicite n'est d'ailleurs pas un défaut qu'il serait souhaitable d'éviter. Il est inévitable parce qu'inhérent au fonctionnement intellectuel : par construction, dans nos interactions avec la réalité, donc dans la réalisation des tâches, nous fabriquons continuellement ce type de savoirs implicites par le seul fait d'agir. Le caractère crucial de ces savoirs implicites tient précisément à ce qu'ils sont développés à partir de l'expérience. Ils sont de ce fait nécessairement pertinent pour la compréhension de ce qui fait l'efficacité d'une action. » (P. VERMERSCH

Trois buts sont donnés à l’entretien d’explicitation :

• Aider le guidant (l’interviewer) à s’informer (analyse d’erreurs, expertise, recherche,…) ;

• Aider l’acteur (l’interviewé) à s’auto informer (retour réflexif sur la démarche suivie pour une tâche ce qui lui permet de construire son expérience) ;

• Lui apprendre à s’auto informer (moyen d’apprendre à apprendre dans la mesure où l’acteur apprend à décrire sa manière de faire et apprend ainsi à en prendre conscience).

Dans cette pratique d’explicitation, on passe de l’interrogation « POURQUOI » (attente d’une réponse pour valider la compréhension d’une problématique) au questionnement a posteriori « COMMENT » (comprendre le fonctionnement intellectuel en situation).

Cette démarche se heurte toutefois à plusieurs difficultés :

• L’action est très souvent une connaissance autonome incorporée et contient une part sensible de savoir-faire non conscient ;

• L’entretien d’explicitation n’est pas un acte habituel et peu d’acteurs ont été formés à sa pratique. Elle requiert en conséquence une aide, une médiation voire une guidance et l’apprentissage des techniques correspondantes ;

• Elle suppose, dans cet acte pratiqué a posteriori, une qualité de mémoire et de rappel des faits de l’acteur questionné.

Pierre VERMERSCH précise plusieurs types d’obstacles à la mise en oeuvre de l’entretien d’explicitation :

1. « Mettre en mots l'implicite, décrire le détail de sa propre action n'est pas habituel ; pour le faire il est nécessaire d'adopter une nouvelle attitude. Cela suppose une aide dans la mesure où on ne sait pas comment s'y prendre tout seul ;

2. Accéder à l'information implicite se heurte au fait que cette information n'est pas immédiatement disponible. Il s'agit de savoirs en acte. Un savoir en acte est un savoir que possède le sujet, ses actions en témoignent mais ce savoir n'est pas conceptualisé. Il n'a jamais été verbalisé et de ce fait il est non conscient. Une preuve indirecte de l'existence de ces savoirs est que celui là même qui les met en oeuvre est souvent convaincu de ne pas les posséder (c'est le propre de l'implicite ... car sinon: "... je saurais que je sais !").

3. Le troisième obstacle est que les aides proposées par les formateurs, animateurs ou tuteurs sont souvent inefficaces : ce qui est efficient est l'inverse de ce qu'on aurait envie de faire en premier ! L'intention du formateur (comprendre) est juste, les moyens (demande d'explication) sont souvent inappropriés car pour viser l'implicite les outils efficaces ont caractère indirect. »

L’entretien d’explicitation comporte trois spécificités essentielles :

• Il vise à installer l’acteur (l’interviewé) dans une position de parole particulière où il sera plus tourné vers son « univers intérieur » que sur son environnement de travail. Cette position d’évocation, appelée aussi « position de parole incarnée », est désignée ainsi parce qu’il est fait appel à la mémoire concrète (GUSDORF 1950) en créant les conditions d’une ré-émergence des éléments sensoriels (images, sons, ressentis corporels) de la situation passée ;

• C’est une technique de questionnement à visée de recherche mais également une aide à la prise de conscience. Elle s’oppose à l’explication en supprimant la question du pourquoi pour aller vers le comment du vécu de l’action. Elle permet ainsi à l’individu de s’exprimer en étant en contact avec lui-même. C’est une condition sine qua non qui nécessite une formation pratique pour le guidant ;

• Les aspects procéduraux de l’action présupposent que soient identifiées et écartées les verbalisations relevant des informations satellites (contexte, intentionnel, émotionnel et jugements).

« Cet ensemble de techniques (cf. entretien d’explicitation) peut être utilisé en situation d'entretien à deux, ou peut être intégrée à des situations de groupe comme en classe, en formation, ou en analyse de pratique.

L'entretien d'explicitation n'est pas un outil de remédiation en tant que tel, même si par le fait qu'il génère une prise de conscience il peut être à l'origine d'un processus de changement. Cet ensemble d'outils n'a pas pour vocation de se substituer à d'autres techniques, ou d'être utilisé seul (à l'exception des entretiens de recherche, quand on recherche la description précise d'une activité), mais plutôt dans la pratique d'être complémentaire sur des points où l'on recherche spécifiquement la description de l'action vécue.

Pour permettre la verbalisation de l'action vécue la première difficulté qui se présente est qu'elle est préréfléchie pour une bonne part, et tout particulièrement sur les détails de la réalisation d'une action.

Autrement dit pour être verbalisée l'action, comme d'ailleurs les autres aspects du vécu, doit faire l'objet d'une prise de conscience préalable.

On a donc deux ensembles de techniques d'explicitation :

- o Le premier ensemble vise à créer les conditions permettant la prise de conscience ;

- o Le second ensemble a pour but, une fois que les conditions sont réunies d'aider à produire une description précise, détaillée et fidèle du déroulement de l'action.

1. Les conditions :

La verbalisation se situe a posteriori à propos d'une situation réelle et spécifiée. Le sujet verbalise est aidé à verbaliser son action, et non pas ses savoirs, son imagination, ses émotions, ou uniquement le contexte On aide le sujet à présentifier la situation passée dont il parle en le guidant dans l'évocation, sensoriellement fondée du passé. Un contrat de communication est mis en place dès le début et renouvelé autant que nécessaire, il a une fonction éthique qui marque le respect des limites que le sujet souhaite poser, et une fonction technique dans la mesure ou permet de vérifier l'accord du sujet.

2. Les techniques :

• La formulation des relances est centrée sur une aide à la description, elle exclue les demandes d'explication directe (comme pourquoi par exemple) et sollicite l'enchaînement des prises d'information et des effectuations.

Cette description est accompagnée à différents niveaux de granularité en fonction des nécessités de l'élucidation complète de la description de l'action. Les relances basées sur des formulations vide de contenu permettent d'aider le sujet à décrire ses actions mentales, privées, sans pour autant que les questions induisent les réponses au plan du contenu. Les dénégations sont contournées en renvoyant sur l'existant : "je n'ai rien fais", appelle la relance : "et quand vous ne faites rien, que faites vous ? ".

3. Les buts :

• L'aide à l'explicitation peut avoir pour but de s'informer, le questionnement s'arrête alors quand l'intervieweur a obtenu les informations qu'il recherchait. Cette position est le cas dans les entretiens de recherche par exemple, ou dans une étape de diagnostic en remédiation. Ou bien le questionnement peut viser à aider l'autre à s'auto informer, dans tous les cas où il ne saurait pas le faire tout seul et à besoin d'une médiation pour le réaliser, dans ce cas l'entretien s'achève quand la verbalisation témoigne d'une prise de conscience, quand c'est possible. Cela signifie que dans ce second cas l'intervieweur peut être conduit à poursuivre son questionnement alors que lui même a peut-être déjà comprit ce qui s'est passé.

• 4. La formation :

• Dans la mesure où la maîtrise d'une technique d'entretien est un savoir faire, elle ne peut s'apprendre que dans une formation expérientielle, une leçon de mots serait aussi efficace que d'essayer d'apprendre à nager avec un livre ! Dans la mesure où ce savoir faire doit être mis en jeu en situation, dans le tempo même de l'échange il demande de beaucoup s'exercer pour être maîtrisé de façon experte. Mais bien sûr plus on pratique plus cela devient aisé, et à l'opposé il serait vain d'attendre de savoir complètement le pratiquer pour commencer à s'en servir.

Enfin, l'apprentissage de toute technique d'entretien mobilise la personne dans ses attitudes profondes vis à vis de ceux qui sont écouté, ou par rapport aux informations dont on sollicite la verbalisation, un tel apprentissage est donc nécessairement impliquant pour celui qui l'accomplit et peut lui poser question par rapport aux valeurs qui sont les siennes comme les chapitres de ce livre l'illustre abondamment. »

Voir aussi : Domaines de verbalisation dans l'entretien d'explicitation

Lien permanent Verbalisation de l'activité ou de l'action vécue - Date de création 2023-02-23


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